Commentaires du Jury
« Guidés par la cinéphilie, par une perception libre du mot citoyenneté, par un désir de mettre en valeur l’intelligence des films et du public, les membres du jury ont choisi à l’unanimité de distinguer « Un héros » d’Asghar Farhadi, pour la virtuosité avec laquelle à partir du « petit mensonge » d’un héros ambigu, des questions sociales, éthiques, amoureuses, médiatiques et politiques sont traversées.
Moraliste sans être moralisateur, servi par des acteurs qui nous ont emportés dans leur partition, le film suscite la discussion sur la notion de vérité, et pourrait s’adresser à un public adolescent en plein éveil moral et politique »
« Un héros », conte iranien de portée universelle
« Un héros » est un immense film. N’en déflorons pas l’intrigue. Disons juste qu’il s’agit d’une affaire de trésor, un trésor en pièces d’or, ce support à tant de récits.
L’affaire s’engendre dans un passé récent que l’on ne découvrira que peu à peu. On la voit s’exposer au grand jour, s’amplifier, se ramifier. Elle enfle, se dégonfle puis repart de plus belle. Chacun y met son grain de sel, des témoins s’invitent, des opinions se fabriquent, des camps se constituent, l’opinion se passionne. Des soupçons apparaissent, de nouvelles preuves sont brandies. La vérité d’un instant cède sous le doute dans le moment qui suit. Elle se montre, disparaît, puis se rallume, insaisissable, telle un feu follet. Il arrive qu’entre ces deux moments, tel ou tel individu, convaincu de mensonge, la réputation flétrie, blessé dans son honneur, lésé dans ses intérêts, réponde par une violence vengeresse. L’histoire regorge de ces enchaînements inexorables nés d’affaires et des « affaires dans l’affaire ». On en connaît les issues : accusations d’impiété, d’hérésie, de trahison ; supplices, lynchages, guerres civiles, génocides…
La force peu commune du film d’Asgar Fahradi est de donner à voir les minuscules ondulations et les tout petits engrenages qui, dans l’Iran actuel, à l’ère des réseaux sociaux, des récits alternatifs et des « fake news », engagent la réputation d’un homme. Est-t-il généreux ou intéressé ? Sincère ou manipulateur ? Innocent ou coupable ? That is not the question. L’affirmation qui sous-tend le film est qu’il n’y a pas de vérité sans une part de dissimulation, pas d’altruisme sans une dose d’égoïsme, pas de générosité sans souci du qu’en-dira-t-on, pas de témoignage purement désintéressé.
Face à cette faiblesse des hommes, la Cité grecque a légué à l’Occident une double institution, celle de la démocratie et son corollaire, la citoyenneté[1]. Dans l’enceinte démocratique, il ne s’agit plus de parler fort, mais ensemble. Affranchi des oracles divins, l’auto-gouvernement des hommes se soutient de leur capacité à argumenter et du crédit accordé à la parole donnée. Pas de démocratie sans la transcendance d’une « religion civile » qui apaise la discorde.
Ce conte iranien nous donne à l’inverse à voir la spirale d’une discorde que rien ne parait pouvoir apaiser, jusqu’à atteindre le « politiquement abject ». Il laisse heureusement entrevoir les résistances, en conscience, des individus. L’un de ceux qui pourrait faire pencher la balance de la vérité est le jeune fils bégayant du « héros », témoin qui en sait beaucoup mais peine à se faire entendre, métaphore d’une surdité à un récit nuancé. Le fonctionnaire aigri en charge de la police des Mœurs ne s’embarrasse pas quant à lui de nuances. Il se fait d’emblée Procureur. Mais il n’y pas de Juge.
Asgar Fahradi installe un autre Juge, comme le remarque justement Valérie Zenatti, Présidente du Jury 2021 du Prix de la Citoyenneté : le Tiers spectateur. Il lui est procuré l’ensemble des récits permettant l’intelligence de la situation, les ressources d’une réflexivité sans laquelle il n’y a pas de jugement citoyen. Gardons-nous bien de ne voir dans « Un héros » que les dérapages propres à une lointaine dictature théocratique : nos sociétés bruissent de rumeurs.
Francis Ginsbourger
[1] Cf, de Jean-François Bouthors et Jean-Luc Nancy, « Démocratie ! Hic et nunc », François Bourin Editons, 2019
Le Jury du Prix de la citoyenneté de g à d : Nicolas SILHOL, Valérie ZENATTI, Yolande ZAUBERMAN, Nicolas DU PELOUX, Lisa NESSELSON
Le Jury du Prix de la citoyenneté de g à d : Lisa NESSELSON, Nicolas SILHOL, Valérie ZENATTI, Nicolas DU PELOUX, Yolande ZAUBERMAN
Interview de Valérie Zenatti, présidente du jury prix de la citoyenneté
Le Jury du Prix de la citoyenneté de g à d : Nicolas SILHOL, Valérie ZENATTI, Yolande ZAUBERMAN, Nicolas DU PELOUX, Lisa NESSELSON